Emilia Stéfani-Law

Résidence d'Emilia Stéfani-Law à Comacina
Résidence d'Emilia Stéfani-Law à Comacina

Née à Paris en 1979, et diplômée en photographie de l’Ecole supérieure des Arts visuels "Le 75" à Bruxelles, Emilia Stéfani-Law a exercé divers boulots dans la photographie ou en marge de celle-ci. Outre la présentation de ses photographies dans de nombreux festivals et expositions, elle a publié "White Days/Le Refuge", témoignage de ses allers et retours réguliers vers l’Amérique du Nord.


Compte-rendu

J'ai fait la demande de résidence sur l'isola Comacina en vue d'étoffer une série autour du paysage ; série en cours depuis un an, alimentée par différents voyages, à visées photographique ou non. Je commence à travailler il y a un peu plus d'un an avec un nouvel "outil". Un polaroid land camera, qui produit de petits originaux rectangulaires (environ 8cm x 10cm). La précision du rectangle a ici son importance, je photographiais jusqu'alors, et ce depuis un peu plus de 10 ans, dans un format carré. Au hasard d'un détour, de ce qui ne semble être au début qu'une expérimentation passagère, le petit rectangle semble m'apporter un souffle nouveau, une ouverture nouvelle, dé-focaliser mon regard aiguisé au carré et à ses contraintes frontales restrictives (du moins celles que mon regard avait rencontrées, choisies, préférées, établies...). Par ailleurs, le polaroid offre des possibilités techniques pauvres. Manque de définition, très peu de sensibilité, aussi les variations de températures peuvent influer sur les couleurs des originaux. Beaucoup de contraintes donc pour aborder le "paysage".

Les premières images de cette série ont été exposées à l'Espace photographique Contretype en 2015 en marge d'une exposition intitulée "La Mue". J'avais choisi de scanner les petits originaux et d'en imprimer de grands tirages (100cm x 80cm), afin, entre autres, d'en étirer la matière, de rendre aussi au paysage une part de sa grandeur.

Je suis partie pour l'isola Comacina avec, bien entendu, une idée préconçue de ce que j’espérais y rencontrer, un fantasme des images que je pourrais y récolter. L'inscription géographique toute particulière du lac de Côme m'avait fait rêver d'images de Montagnes grandioses, sombres et denses. J'ai appris par ailleurs depuis qu'en chinois, l'équivalent de notre mot "paysage" se traduit par un binôme d'idéogrammes "montagnes / eaux" (François Jullien, Vivre de paysage). Le polaroid m'oblige à une distance assez précise d'avec mon "sujet" ; ni trop loin ni trop près. Le lac est bordé de montagnes, que je n'ai jamais réussi à photographier à la distance et avec le point de vue que je cherchais. J'ai mis en œuvre de multiples ruses pour parvenir à mes fins, payé quelqu'un pour qu'il m'en rapproche en bateau, loué un pédalo, fait une mini croisière sur l'un des bateaux qui offrent un tour du lac aux touristes, enfin effectué une randonnée de deux jours, sublime, au terme de laquelle arrivée enfin au sommet tant espéré, plus rien entre les montagnes et mon polaroid, un brouillard épais m'a simplement bouché la vue.

Tandis que je poursuivais cette inaccessible quête, je m'appropriais l'île, "mon île" (étant là en ouverture de saison, je m'y suis retrouvée seule, les deux autres villas étaient vides) par des ballades quotidiennes. C'est presque à mon insu, du moins à l'insu ou en dehors d'une quelconque intention, que mon travail a pris sa propre direction, une direction nouvelle. J'écrivais alors à un ami : "J'ai l'impression que mon travail a ses propres jambes". Une végétation dense peuple l'île et la sensation d'isolement est accrue par le fait que cette végétation semble par endroits faire obstacle avec le monde, avec l’extérieur. J'ai donc jour après jour photographié cette végétation, cette limite. Les limites de l'île, limites de mon royaume végétal et temporaire, limites à mon regard. La vue m'était bouchée. J'avais beau chercher je ne pouvais voir au-delà.

Certaines des photographies réalisées sur l'île de Comacina sont donc destinées à étoffer cette série sur le paysage. Je n'ai pas produit un travail à proprement parler sur le sujet Comacina. Ce qui n'est en outre pas du tout ma façon de travailler.

Par ailleurs, l'isolement, la tranquillité, le contexte très singulier de l'île m'ont permis de me concentrer aussi sur mon travail d'écriture quotidien. J'y ai mis en place un rituel nouveau d'enregistrement audio des rêves dans la nuit ou dès les premiers battements de paupières. Je me suis prise d'une affection toute particulière pour Davide, qui s’occupe de la buvette de l'île, avec qui j'ai partagé beaucoup de complicité malgré le fait que nous n'avions pas de langue commune. J'ai passé de longs moments sous son regard bienveillant à écrire, retranscrire les rêves nocturnes, attablée à la terrasse. "Stai facendo oggi ? Scrivi ?" "si".

 

Remerciements

Je remercie chaleureusement WBI de m'avoir offert l'opportunité de cette résidence qui a permis à mon travail de prendre une direction nouvelle et inattendue.


Dernière mise à jour
01.09.2016 - 16:51

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