ROBBIANO Deborah

ROBBIANO Deborah est graphiste designer à Bruxelles travaillant en collaboration avec des grandes équipes créatives, ou directement avec ses clients. Elle a obtenu un diplôme en arts graphiques de l'ERG (Ecole de Recherche Graphique  - Ecole Supérieur des Arts) et un diplôme en photographie de l'Institut des Beaux-Arts de Liège.

En tant que membre de l'OST Collectif et Continent Virtuel Digital Arts Platform, ROBBIANO Deborah a participé à un certain nombre de manifestations artistiques telles que la 7ème Biennale de la Photographie et des Arts visuels tenue à Liège en 2010, le Festival Corps Urbain organisé par le Centre d'art contemporain Les Brigittines à Bruxelles et le Festival Kit de Survie #3 organisée par le Centre letton pour l'art contemporain à Riga en Lettonie.


Introduction

Quelques semaines avant mon départ en résidence, je suis allée voir à l’occasion du Kunstenfestivaldesarts 2015 l’oeuvre "Uso Umano di Esseri Umani, un esercizio in Lingua Generalissima" de Romeo Castellucci / Societas Rafaelo Sanzio. J’ai été particulièrement touchée par la performance des acteurs principaux et ce, essentiellement pendant l’Acte 1 du dialogue entre Jésus et Lazare écrit par Claudia Castellucci , dans lequel Lazare refuse de revenir à la vie car elle engendre trop de souffrances. J’ai entendu dans ce discours déclamé à la perfection dans la langue de mon père des échos des ses propres écrits. C’est cet évènement qui m’a poussée à me concentrer, pendant ces trois semaines de résidence, sur ses dernières années de vie.

J’ai archivé, avec une attention toute particulière, les phrases concernant les douleurs causées par la maladie car j’ai vu, dans cet agencement d’extraits de texte, une similitude avec l’histoire de l’île. Comacina, après des années de règne sur le lac s’est vue assiégée, pillée, saccagée, réduite à néant. Toutes les garnisons, les murs, les maisons et les églises furent démolis et les pierres dispersées dans le lac afin que rien ne puisse être reconstruit.

Pour être certains qu’elle ne reviendrait jamais à la vie, l’évêque de Côme l’excommunia et par un décret impérial datant de 1175, Federico Barbarossa confirma l’interdiction à la reconstruction : "On n’y sonnera plus les cloches, on n’y mettra plus pierre sur pierre, on n’y fera plus jamais l’hôte, sous peine de mort violente" ("Non suoneranno più le campane, non si metterà pietra su pietra, nessuno vi farà mai più l’oste, pena la morte violenta").

La destruction totale de l’île dans l’acte de vengeance des guerriers comasques mené par Federico Barbarossa faisait écho dans mon crâne, à la destruction totale de l’être humain par la maladie. Anéantissement dont je lisais les moindres détails page après page dans les carnets de mon père.

Dans ses écrits, Giuseppe raconte le récit de ses nombreuses hospitalisations et opérations de manière pragmatique. Tout est détaillé méticuleusement. Aucune lamentation, juste une succession de faits qui rendent compte de l’enfer causé par l’acharnement thérapeutique propre à la médecine occidentale qui sous couvert de vouloir prolonger la vie à tout prix, dénie à l’homme tout reste de dignité. Par responsabilité envers les siens, Giuseppe s’est battu jusqu’au coma, l’épuisement total. Tout au long de cette lutte, il a émis des prières silencieuses qui n’ont jamais été écoutées.

 

Performance

Ce sont ces prières qui ont inspiré mes recherches autour d’un travail de performance. J’étais venue sur l’île pour lire et écrire mais il m’a semblé dommage de ne pas profiter au maximum de tout cet espace libre. Je voulais également intégrer le travail de manière plus forte et marquer mon passage sur l’île.

Parmi les extraits de texte qui m’ont poussée à me lancer dans ce travail de recherche sur le corps, il y avait celui-ci : "Il corpo é un ostacolo per passare dall’altra parte e capire l’insieme dei misteri che ci circondono"  ("Le corps est un obstacle pour passer de l’autre côté et comprendre l’ensemble des mystères qui nous entourent") (phrase prémonitoire écrite en 1981, 13 ans avant l’apparition de la maladie), c’est cette phrase qui m’a guidée vers l’utilisation d’un accessoire et en l’occurrence, de cette bâche en plastique opaque.

En l’utilisant, je cherche à faire disparaître mon corps. La séquence de prières m’a elle guidée vers le lieu où j’ai tourné la vidéo : le monticule sur lequel est bâtie l’église de San Giovanni di Battista. La performance est une lutte, un combat pas simulé car sous cette bâche en plastique de 5 x 5 m, il fait une chaleur insupportable, le plastique me colle à la peau, je ne vois rien au travers, je trébuche, je tombe, je me relève pour retomber et finalement je me libère, car je fais toujours partie des vivants et que pour l’instant cette lutte n’est encore qu’un jeu, une performance.

All that is to give light must endure burning from deborah robbiano on Vimeo.
 

Composition du texte "Sparire nel nulla" / Série de photographies

Pendant les années de maladie et surtout à la fin de la vie de Giuseppe , on voit naître l’apparition de phrases de nature plus existentielle, métaphysique. Ces phrases sont toujours écrites en-dehors du texte général, de la "routine" et créent par leur présence une plus large amplitude émotionnelle. On lira par exemple les mots "Sparire nel nulla" (‘Disparaître dans le néant’) écrits sur la même page qu’un texte qui se termine par "Ho messo in ordine il miogiornale. Sono andato a letto alle 23.00" ("J’ai mis en ordre mon journal. Je suis allé au lit à 23h"). On comprend dans ce contraste la volonté de celui qui veut conserver à tout prix l’équilibre de sa vie et garder le contrôle malgré les douleurs insupportables causées par la maladie.

Le texte "Sparire nel nulla" a inspiré une série de photographies dominée par le noir et l’obscurité. Malgré cette noirceur, il y a dans ces images un côté paisible car Comacina est un lieu sacré où la nature a pu reprendre ses droits. Elle est d’une beauté extraordinaire en particulier juste avant la tombée de la nuit et au lever du jour, lorsque les sons sont purs et la lumière rasante et faible. Il y règne une atmosphère très difficile à décrire. Après quelques jours à peine, j’ai eu le sentiment qu’elle m’appartenait et qu’elle m’appartiendrait pour la vie. C’est dans ce cadre que j’ai pu confronter pour la première fois la phrase "Sparire nel nulla per infine essere libero" écrite le 22 novembre 2005 sans me laisser décomposer par son sens.
 

Travail vidéo et sonore

J’ai archivé cette nature luxuriante et ces atmosphères tellement lointaines de mon quotidien de toutes les façons que je connaissais dans le but d’éditer une vidéo de 8 minutes réalisée à partir des captures sonores et vidéo ainsi que des extraits des performances. Ce travail aura lui aussi pour fil conducteur le texte ‘Sparire nel nulla’ car je l’ai composé la nuit du sixième jour et n’ai cessé d’y penser tout le reste de la résidence. Il incarne à lui seul la raison pour laquelle je me suis lancée dans ce projet artistique.

Les 4 textes écrits à Comacina sont destinés à être performés par un acteur italien et enregistrés à Bruxelles.
 

Rencontre

Pendant les deux premières semaines de résidence , je n’ai eu de contact qu’avec les locaux avec lesquels je me suis plue à pratiquer mon italien. En fin d’année scolaire, les artistes de l’Accademia di Brera ne sont passés sur l’île que le week-end pour des performances ou vernissages et ne dormaient pas sur place. La dernière semaine, j’ai eu la chance de rencontrer une artiste visuelle italienne, Marta Colombo, ancienne étudiante de l’Accademia di Brera avec laquelle nous avons pu partager autour de nos projets respectifs. De ces échanges est née l’envie de collaborer sur un projet d’édition qui archiverait notre travail sur l’île.
 

Blog "Domani Voglio"

Tout le travail effectué lors de la résidence est archivé sur le site www.domanivoglio.tumblr.com sur lequel il y a une plus grand sélection d’images, de scans des journaux et de documents annexes permettant une meilleure compréhension de l’ensemble du projet.


Dernière mise à jour
16.07.2015 - 12:32

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