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Chercheurs du bout du monde: Thomas Gillis et les éoliennes de demain

Thomas Gillis, chercheur post-doctoral au Massachusetts Institute of Technology © Thomas Gillis
Thomas Gillis, chercheur post-doctoral au Massachusetts Institute of Technology © Thomas Gillis

Aux États-Unis, le mathématicien belge Thomas Gillis mise sur le calcul à haute performance pour les éoliennes de demain.

Depuis novembre 2019, le chercheur formé à l’UCLouvain est bloqué aux États-Unis mais réagit avec enthousiasme au tournant que prend de fait, son parcours . « Il ne m’est, en effet, toujours pas possible de rentrer en Belgique », explique le Dr Thomas Gillis. « D’abord, suite aux restrictions de voyage liées à la pandémie. Ensuite, parce que mon visa pour les États-Unis a expiré et que je n’ai pas réussi  à obtenir un rendez-vous à l’ambassade américaine à Bruxelles afin d’en obtenir un nouveau. Si je quitte le sol américain, je ne pourrai pas y revenir tout de suite. Dans un certain sens, je suis devenu Américain. »
 
Il joue ainsi les prolongations à Boston, et singulièrement au MIT, le Massachusetts Institute of Technology. « Je viens de signer pour une année complémentaire de postdoctorat », précise-t-il. Celui-ci avait démarré en 2019 grâce à une bourse BAEF (Belgian American Educationnal Foundation). Une bourse d’excellence de Wallonie-Bruxelles International est venue compléter un financement partiel décroché auprès du « Department of Energy » américain.
 

Algorithmique et dynamique des fluides

 
Après son Master en mathématiques appliquées à l’UCLouvain, Thomas Gillis s’est lancé dans un doctorat à Louvain-la-Neuve, grâce au FRIA (FNRS). « Ma thèse a surtout porté sur l’algorithmique en lien avec des applications en dynamique des fluides », précise-t-il.
 
« J’ai développé une méthode qui permet de simuler par calculs des écoulements fluides dans des environnements infinis. Par exemple, des phénomènes qui se déroulent à l’air libre, dans l’atmosphère, et non dans des moteurs où les fluides sont confinés. Mes travaux concernent plutôt les pales des éoliennes, celles des hélicoptères ou encore les ailes d’un avion. Je suis donc plutôt actif dans ce qui touche à l’aérodynamique. »
 
Plus concrètement, Thomas Gillis développe le calcul à haute performance dans ce domaine. « Cela coûte aujourd’hui tellement cher de développer et de mettre au point un Airbus, une éolienne ou un hélicoptère, que les exercices de simulation et de prédiction des comportements sur ordinateurs s’avèrent incontournables. En simulant mathématiquement le plus finement possible ce qui se produit, cela permet de prévoir ce qui va se passer dans la réalité. En modifiant certains paramètres lors de ces simulations, on élimine certains problèmes potentiels sur les structures physiques. Ce qui permet au final de construire des engins les plus performants possible. Au sein du laboratoire de Wim van Rees (MIT), un jeune professeur d’origine hollandaise, on fait un travail passionnant », confie le chercheur.
 

Simulations en 3 dimensions

 
Le calcul à haute performance fait appel à des ordinateurs très puissants. Il ne s’agit pas d’un ou deux ordinateurs comme nous les connaissons, mais de machines qui combinent les capacités de dizaines de milliers d’ordinateurs. L’idée étant de pouvoir traiter dans des délais raisonnables une énorme quantité d’informations.
 
« Comme cela concerne des engins évoluant dans des environnements avec des écoulements complexes, nous devons travailler, dans nos simulations, en trois dimensions. Ce qui demande des capacités de calcul gigantesques, et ce qui coûte hyper cher en termes de prévisions. Si l’on veut obtenir des données deux fois plus fines, en terme de coûts, il faut multiplier par huit », précise-t-il.
 
Les recherches du post-doctorant portent sur l’optimisation des codes de calcul pour ces simulations 3D. « Je suis un peu comme un chef d’orchestre dans ce domaine. Il faut coordonner le travail des ordinateurs, leur faire calculer ce qu’il faut, quand il faut. Je m’attaque donc à une double complexité. Il y a d’abord celle de la synchronisation du travail des ordinateurs. Ensuite, il y a la difficulté à faire faire à chaque ordinateur exactement le calcul qu’on lui a demandé. Ce que je fais très précisément, c’est de la prédiction. J’écris un code qui permet d’obtenir une répartition de la précision dans la simulation qui est variable. »
 

Répartition variable de la précision

 
Quand une grande éolienne tourne, les détails physiques, les données nécessaires à une bonne simulation ne sont pas tous identiques. En fonction de l’environnement pris en compte, leur niveau de précision intéressant n’est pas non plus unique.
 
« J’aurais besoin de beaucoup de puissance de calcul à proximité de l’éolienne afin d’obtenir un grand nombre d’informations », reprend Thomas Gillis. « Ceci afin de comprendre ce qui se passe exactement en tenant compte notamment de la turbulence. Par contre, cinq diamètres devant ou derrière l’éolienne, ce niveau élevé de précision dans les calculs est inutile. Cette répartition variable de la précision repose sur des théories mathématiques qui s’inspirent des principes de compression d’images.
 
« Lors d’une téléconférence, par exemple, certaines parties noires de l’écran ne nécessitent pas qu’on envoie en permanence des données relatives à chaque pixel noir. Dans mon travail, c’est la même chose : on essaye d’identifier les zones d’informations pertinentes, où l’on désire obtenir beaucoup de détails et les autres, celles où le niveau de précision peut être moindre. Tout ceci en vue d’optimiser l’utilisation des ordinateurs. »
 

Le post-doctorat et ses multiples compétences

 
« Bien que mathématicien, je travaille donc dans un domaine qui allie à la fois les mathématiques appliquées, la physique et l’informatique. Pour la petite histoire, mon labo est d’ailleurs attaché au département de mécanique au MIT.»
 
Quant à l’avenir ? « On verra », dit-il. « Je vais d’abord faire une troisième année de postdoctorat au MIT. Continuer ensuite dans la recherche académique ? Pourquoi pas. Bifurquer vers l’industrie ? C’est également une possibilité. Je n’écarte pas non plus la piste de l’enseignement. J’aime transmettre les connaissances, faire comprendre. »
 
« La plus-value du doctorat en ce qui concerne l’industrie est bien réelle dans les pays anglo-saxons. J’ai l’impression qu’en Belgique, elle échappe aux employeurs potentiels. Pourtant, pendant un postdoctorat, on développe des compétences liées à la gestion de projets scientifiques complexes sur du long terme, à la gestion de budgets et de financements. Sans parler de notre grande flexibilité. Autant d’atouts qui devraient être séduisants pour un employeur industriel ».
Un retour en Belgique, est-il dès lors envisageable ? « Certainement », dit-il encore. « J’ai un financement de chargé de recherche du FNRS qui m’attend. Mais qui sait de quoi l’avenir sera fait? »
 
Source
Chercheurs du bout du monde 1/6
Série de six articles proposés par Christian Du Brulle dans la revue Daily Science.
 
 

Dernière mise à jour
03.09.2021 - 15:12
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