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Le Laboratoire des idées: Entretien avec Mayuri Sadoine

Dr. Mayuri Sadoine - Chercheuse associée - Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf – Ancienne chercheuse à l’UCL
Dr. Mayuri Sadoine - Chercheuse associée - Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf – Ancienne chercheuse à l’UCL

Entretien avec le Dr. Mayuri Sadoine - Chercheuse associée - Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf – Ancienne chercheuse à l’UCL.

Le Laboratoire des idées

« Nos histoires peuvent être singulières mais notre destination est commune »
Président Barack Obama, 2008

 
Partant du principe qu’une crise mondiale demande une réponse réfléchie et coordonnée à l’échelle de la planète, Wallonie-Bruxelles International, grâce à son réseau d’Agents de Liaison Scientifique (ALS), a décidé de rassembler les idées et les travaux d’experts de tous les domaines scientifiques confondus.
 
Ces experts sont des professeurs, des doctorants, des médecins, des ingénieurs, des économistes, des architectes, des éducateurs, des juristes, des designers, des psychologues. Ils proviennent et évoluent donc dans des univers très différents mais partagent deux caractéristiques communes:

  • De par leur formation académique ou leur expérience professionnelle, ils sont liés aux institutions de recherche de la Fédération Wallonie-Bruxelles
  • Leurs idées ont un impact direct ou indirect sur la compréhension, la réponse ou la relance vis-à-vis de la crise globale causée par l’épidémie de Covid-19

 

L'entretien avec Mayuri Sadoine

Pourriez-vous vous présenter et expliquer brièvement votre lien avec les institutions de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Afin de briser la glace, pourriez-vous citer un élément vous correspondant mais qui ne figure pas sur votre CV professionnel ?
 
Je suis actuellement chercheuse associée à la Faculté de mathématiques et sciences naturelles de la Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf (HHU). Je vis en Allemagne depuis décembre 2014. J’ai effectué mon doctorat au centre de recherche de Jülich (FZJ) et ai obtenu mon titre de docteur en biophysique moléculaire à l’université d’Aix-la-Chapelle (RWTH Aachen). Ensuite, j’ai été engagée comme chercheuse associée à l’institut de physiologie moléculaire de la Faculté de mathématiques et sciences naturelles de HHU. 
 
Je suis liée aux institutions de la Fédération Wallonie-Bruxelles puisque j’y ai effectué une partie de mes études universitaires. Je suis graduée Master en biochimie, biologie moléculaire et cellulaire et Master complémentaire de santé publique de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). J’ai également travaillé dans deux laboratoires de recherche biomédicale de l’Université Catholique de Louvain (UCL) avant de m’expatrier en Allemagne.
 
Un élément qui me définit et qui est exclu de mon CV est mon métissage. Je suis moitié Belge et moitié Indienne. Je ne me sens ni exclusivement l’un ni exclusivement l’autre mais, un réel mélange des deux. Je pense que cette particularité a eu un impact important sur mes choix tant au niveau professionnel que personnel. C’est également une réelle force dans une carrière internationale d’être soi-même issu de cultures drastiquement différentes et d’avoir conscience de la nécessité de les reconnaître et de les tolérer. Dans les équipes de recherche internationales, de nombreuses nationalités se côtoient. Dans mon groupe nous sommes plus de 10 nations représentées issues de 4 continents. Cette diversité nécessite une ouverture d’esprit de la part de chacun des membres du groupe et une prise de conscience des différences culturelles. Cette prise de conscience va de pair avec la productivité. De fait, derrière les scientifiques il y a des personnes apportant leurs propres bagages d’histoire et de culture, et un besoin d’être reconnu et toléré dans leur identité. Un facteur important pour une équipe saine est de le reconnaitre et de toujours en tenir compte. Seule une équipe saine rendra le meilleur. 
 
 
Parlez-nous de vos travaux et de leurs liens, directs ou indirects, avec la crise due à l’épidémie de Covid-19
 
Durant mon doctorat et mon postdoc, j’ai acquis un expertise en biophysique moléculaire et dans l’ingénierie de biosenseurs fluorescents génétiquement encodés, qui une fois exprimés dans un organisme particulier peuvent servir à mesurer in vivo les concentrations de métabolites d’intérêt. Ces biosenseurs sont des outils extraordinaires qui peuvent être utilisés pour adresser de nombreuses questions biologiques comme par exemple savoir de quelle manière une cellule répond à son environnement.
 
Actuellement, je m’intéresse de près a des pathogènes bactériens de plante et comment ils interagissent avec leur hôte. Nous partons du postulat que les pathogènes infectent leurs hôtes pour se multiplier. De fait, pour des pathogènes bactériens, multiplication entraine nutrition. Ainsi, je m’intéresse à comprendre comment ces organismes unicellulaires se nourrissent et tirent avantage de leur environnent particulier, c’est-à-dire leur hôte. Bien souvent, cela implique une manipulation des machineries moléculaires de l’hôte par l’agent infectieux. La nécessité de comprendre ces interactions hôte-pathogène demande de s’immiscer en tant qu’observateur dans ce type de système. C’est à la fois fascinent et techniquement très difficile. 
 
Pour cela j’utilise, entre autres, des biosenseurs qui répondent à des changements de concentration de certaines molécules liées au transport de nutriments et au métabolisme. Ce qui m’intéresse plus largement est de comprendre les mécanismes sous-jacents qui font d’un agent pathogène performant c’est-à-dire virulent. 
 
D’une certaine façon, étudier comment un pathogène manipule l’hôte à son profit s’applique aussi au virus, bien que l’aspect nutrition n’est pas pertinent. Par exemple, nous observons que de nombreux mécanismes évolutifs liés à la virulence sont similaires à de nombreux agents infectieux de par leur style de vie particulier, et impliquant des pressions de sélection particulières liées à la nécessité de coévoluer avec leur hôte tout en restant toujours avec une longueur d’avance sur son système de défense. 
 
Actuellement, je travaille sur un pathogène de plante particulièrement virulent et responsable d’épidémies dévastatrices dans certaines régions du monde. Dans des circonstances particulières, ce pathogène est responsable de problèmes de santé publique très sévères, allant jusqu’à des épisodes de famine.
 
L’aspect épidémiologique et la nécessité de comprendre les mécanismes moléculaires sous-jacents à la virulence nous rapproche inévitablement de la crise sanitaire actuelle. Dans notre cas comme dans le cas des équipes travaillant sur la Covid-19, nous voyons clairement la nécessité d’une science à deux vitesses. Il s’agit d’apporter à la fois des réponses rapides à court terme pour limiter au maximum les effets dévastateurs d’une période de crise et une réponse à long terme en apportant un gain de connaissance dans la compréhension d’un agent particulièrement infectieux et redoutable. Une façon de tirer les leçons de ce qui s’est passé, de chercher à anticiper mieux la prochaine crise et d’y être mieux préparé. Là aussi, la nécessité de comprendre ce qui rend le pathogène particulièrement infectieux est un axe de recherche prioritaire pour de nombreux chercheurs. 
 
 
La situation actuelle et votre expérience personnelle de celle-ci affectent-elles vos travaux de recherche passés ?
 
La crise sanitaire qui a touché l’Allemagne, la Belgique et tant d’autres pays a fortement impacté les projets de recherche dans lesquels je suis impliquée. Comme beaucoup de chercheurs, les projets s’étalent sur plusieurs années. La situation sanitaire, les mesures de confinement et les premiers effets de la crise économique actuelle les affectent fortement. 
 
Certaines difficultés sont plutôt évidentes et liées au timing et directement ou indirectement aux financements. Les équipes de recherche qui incluent de nombreux chercheurs avec des contrats déterminés comme les postdocs, catégorie dont je fais partie, sont parfois fortement oubliés dans les réponses politiques au niveau national. Mais ce que j’ai observé au-delà de cela, c’est que la recherche scientifique, bien que remise au premier plan par la crise Covid, souffre d’un manque de réponses coordonnées à l’échelle européenne et internationale. Il est évident que de nombreux projets de recherche impliquent un certain nombre de pays, alors que chacun applique des mesures qui lui sont propre. Nous avons des projets impliquant les États-Unis, le Canada, la France et le Japon. Chacun de ces pays répond à la crise différemment. Bien qu’il y ait une grande capacité de résilience et d’adaptabilité chez les chercheurs qui permet certainement de limiter l’impact d’une façon ou d’une autre à court terme, des réponses européennes et internationales coordonnées seront nécessaires pour limiter les effets à long terme.
 
 
Plus concrètement, pouvez-vous citer les dispositions professionnelles que vous prenez et les axes de recherche que vous pensez aborder à l’avenir ?
 
Au niveau des dispositions professionnelles, je cherche d’abord à m’adapter de la façon la plus optimale possible. Il est important de prendre chaque projet et chaque problème un à un et de réfléchir à la façon la plus efficace d’amortir les effets de la crise. On ne peut pas les éviter mais on peut les limiter. Nous travaillons dans des universités où les doctorants dépendent de l’aboutissement de projets pour obtenir leur titre de docteur par exemple. Sur un autre aspect les postdocs dépendent également de la réussite de projets pour obtenir un nouveau poste et progresser dans leur carrière. La crise a mené également à une réorganisation du financement des projets et des postes dans le milieu académique. Il est important d’en tenir compte et de travailler de façon à ce que tout le monde puisse trouver des solutions adéquates.
 
 
Au niveau individuel et partant toujours de votre domaine d’expertise, pensez-vous dédier du temps et de l’énergie à préparer l’après-crise ?
 
Je pense que si j’en ai l’occasion, je le ferai. Pour le moment, je suis plus enclin à prendre part dans la gestion de la crise actuelle, mais beaucoup d’actions prises en ce sens seront également utiles pour l’après-crise. Je suis actuellement volontaire dans la plateforme de Crowdfight COVID. Cette merveilleuse initiative permet aux chercheurs qui ne travaillent pas directement sur la Covid-19 de soutenir leurs collègues en mettant à disposition leurs expertises spécifiques. 
 
 
Maintenant à l’échelle sociétale, quelles sont les réponses et changements globaux que vous estimez nécessaires vis-à-vis de la crise actuelle ?
 
Je suis relativement impressionnée par la réponse scientifique à la crise actuelle. Je pense que nous ne la mesurons pas encore assez. La vitesse à laquelle les équipes de recherche travaillant à la réponse de la crise de la Covid est incroyable. Le talon d’Achille ici est toujours lié à l’investissement. La vitesse de la réponse reste limitée par l’investissement qui a été fait dans la recherche scientifique ces dernières années. Il est évident aujourd’hui que l’impact de la crise sera en grande partie fonction de la réponse scientifique à la Covid-19. Pour moi, une leçon à tirer sera de remettre la recherche scientifique à sa juste place et y investir de façon proportionnée. Cela ne pourra pas se faire sans une réponse adéquate des politiques. Mais un point très important à travailler, et sans doute un des éléments entravant du système actuel, est la coordination des réponses aux niveaux européen et international. Comme un manque de coordination européen a certainement mené à un taux de mortalité plus élevé en Italie, un manque de coordination européen et international a largement retardé la réponse scientifique. Il est aujourd’hui important d’apporter des solutions à l’échelle du problème. Un problème mondial nécessitant une réponse mondiale, comme cela a été répété à de nombreuses reprises sur d’autres sujets. Cela vaut pour la recherche scientifique aussi. 
 
 
Quels conseils donneriez-vous à chacune des catégories de personnes suivantes : les étudiants, la prochaine génération de chercheurs dans votre domaine et les jeunes entrepreneurs ? 
 
Je dirais que la crise actuelle est une leçon pour chacun d’entre nous. Cette une période particulièrement difficile mais pas sans réponse. Dans toutes les difficultés, il y une occasion de sortir grandi. 
 

 

 
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Dernière mise à jour
03.08.2020 - 11:49
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