Aller au contenu principal

Maredsous : L'esprit est bien là

01/08/2023
Vue aérienne de l’Abbaye de Maredsous © Abbaye de Maredsous asbl

Il faut quitter les berges de la Meuse et monter à l’assaut des contreforts rebelles du Condroz namurois pour découvrir une région de bocages où le jaune du colza s’impose, de-ci, de-là, au gras de verts pâturages. Tout ici respire déjà la sérénité  et la plénitude. Un sentiment de bien-être qui gagne au fil des kilomètres dès que la route plonge vers Anhée puis Denée, dans cette jolie vallée de la Molignée, bien connue pour ces draisines qui empruntent les voies de l’ancien chemin de fer.

 

Le plateau de l’Abbaye de Maredsous apparaît au détour de rares panneaux indicateurs. De toute façon, on sait pourquoi et comment on vient ici sur les pas des pèlerins et des touristes qui, depuis 150 ans, ont trouvé dans ces murs austères de  petit granit usés par le temps, le calme de l’esprit, le repos de l’âme et… la satisfaction du goût.

 


Rien que l’année dernière, près de 600.000 visiteurs se sont imprégnés des lieux et de ses produits, ce qui en fait, l’air de rien, la troisième attraction touristique de Wallonie et Bruxelles, loin derrière Walibi et Pairi Daiza, mais devant toutes les  autres…

 


Un siècle et demi ce n’est pas très vieux pour une abbaye. Elle doit tout à la famille Desclée, bien connue pour son implication dans l’éclairage public et l’édition, surtout religieuse, avec la famille De Brouwer. Une abbaye « moderne » d’autant plus  tournée vers le monde et inscrite dans son temps qu’elle observe la règle de St Benoît.

Retour au début

300 ouvriers pendant 20 ans

Au moment de l’acquisition du domaine par Henri-Philippe en 1872, l’intention familiale était juste d’avoir une chapelle privée pour la messe dominicale afin de ne plus être obligé de courir les offices alentour de leur seconde résidence, un château-ferme et un moulin un peu isolés, en léger contrebas du plateau de Scrapia. Ce vaste ensemble rocailleux mais plat d’une part et les accointances catholiques ultramontaines (proche du Vatican) de la famille Desclée de l’autre, font  naître l’idée d’une nouvelle abbaye dont la souche viendra d’Allemagne.

 


Le château accueillera pendant 20 ans plus de 300 ouvriers - dont 120 tailleurs de pierre dans deux carrières voisines - pour arriver au bout des plans dessinés par l’architecte courtraisien Jean-Baptiste Bethune. Ce dernier, fervent catholique, est  considéré comme le « pape », si l’on peut dire, du néo-gothique en Belgique au point d’avoir créé, avec le poète flamand Guido Gezelle, les instituts d’architecture St-Luc, qui sont encore des témoins actifs aujourd’hui. Un geste architectural et une  nouvelle implantation religieuse qui valurent à la famille d’être anoblie et de pouvoir s’appeler désormais les Desclée de Maredsous.

 

A dire vrai, l’ensemble des quatre bâtiments (l’église et le cloître, l’institut des Sœurs, le Collège et le Centre d’accueil St Joseph, ancienne école des métiers d’arts) n’a rien de séduisant. C’est même plutôt austère, impressionnant mais sans plus, à  l’image d’une philosophie bénédictine qui a fait de la sobriété sa vertu cardinale.

 


Mixité oblige, un dortoir pour les filles du Collège a été installé, en 2008, dans l’ancienne Hôtellerie Emmaüs, à distances respectables de celui des garçons… Toutes et tous, soit environ 250 élèves, généralement issus de la haute bourgeoisie, de la noblesse et de la diplomatie dont la majorité en internat, portent toujours l’uniforme comme une véritable marque de fabrique d’une pédagogie assurée par une cinquantaine de professeurs et réputée pour son goût des sciences et des  mathématiques.

Retour au début

Des royalties pour l'abbaye

« Depuis l’année dernière, nous avons choisi d’organiser deux visites guidées distinctes, explique Bernard Torlet, le directeur commercial du site. Une pour l’aspect disons religieux et l’autre plus gustative qui s’intéresse à la gamme très variée de nos produits faits sur place comme la céramique, le pain et le fromage ». Et pas la bière ? « La bière n’est jamais brassée dans une abbaye où il y a une école car une loi interdit d’y produire de l’alcool. Et puis la quantité de notre production est trop importante et c’est la brasserie Duvel-Moortgat, basée à Puurs, qui s’en charge. Elle respecte un mode de brassage bien particulier assorti de quelques secrets des moines et verse des royalties à l’abbaye en échange de l’utilisation de son nom et  de son logo. Ceci dit, pour marquer nos 150 ans, nous avons installé ici une houblonnière et une micro-brasserie qui devrait sortir sa première bière à la fin de cette année ».

 

La visite de l’ensemble – la seule qui soit payante car l’entrée, le parking et l’accès à la plaine de jeux sont gratuits – se termine toujours dans le bâtiment d’accueil dit St-Joseph où il n’est pas besoin de le prier pour trouver ce que l’on cherche,  toutes proportions de sagesse gardées, bien entendu…

 


En un temps record qui ne dépasse pas une heure, notre guide avisée Marie-Thérèse Tops, qui connaît le site comme sa poche, a l’art de faire parler ces vieilles pierres. Dès la description détaillée du portail de l’église, elle fait ainsi découvrir tous  les symboles de l’abbaye qui sont autant de jalons de son histoire. A l’intérieur, d’une très grande sobriété depuis que les moines, dans la foulée du Concile de Vatican II, ont décidé de ne pas restaurer les fresques, on est saisi par la hauteur et par  la rigueur. Pas de place ici pour la distraction. Tout est tourné vers Dieu et son office. D’ailleurs il n’y a pas d’autres sacrements comme les baptêmes, le mariage et les funérailles, sauf pour la famille Desclée et, bien entendu, les moines. Il y a  même un saint parmi eux, Dom Columbia Marion, moine irlandais qui fut élu abbé de Maredsous de 1909 à 1923. On célèbre donc cette année le centenaire de la disparition de celui qui fut proclamé Bienheureux, le 3 septembre 2000 par le Pape  Jean-Paul II. La célébration annuelle de sa fête est fixée au 3 octobre et sa dépouille a été ramenée dans une alcôve de l’église qui lui est dédiée. Mais sans bougies et sans exvotos, les moines préférant un don pour la communauté.

Retour au début

250 personnes et 40 hectares

Le Père Abbé Bernard, qui va peut-être briguer un 3e mandat de 8 ans l’année prochaine - ce qui serait une première - n’a pas que la charge de ses 25 moines mais aussi celle de cette entreprise de 250 personnes réparties sur 40 hectares qu’il  faut bien entretenir. Sans parler des centaines de milliers de touristes chaque année. 

 


On comprend dès lors que seuls quelques bâtiments comme l’église, le St-Joseph ou le Petit Musée de la Fromagerie soient accessibles au grand public. La visite guidée permet toutefois de découvrir le cloître où il n’est pas rare de croiser un moine en short, les chauds jours d’été. Normalement, ceux-ci se couvrent de leur habit noir pour les célébrations ou le contact avec le public, rappelant que l’on est ici dans un ordre apostolique et non contemplatif. Cette ouverture au monde par le travail  et la connaissance fait même partie des missions de base du moine bénédictin. Dans l’aile ouest du cloître, il y a d’ailleurs une septantaine d’anciennes cellules transformées en chambres d’hôtes. Elles ne désemplissent pas à longueur d’année tant sont nombreuses les personnes qui viennent chercher ici un peu de réflexion, de sens à leur vie ou à leurs futurs engagements.

 

Les moines de Maredsous sont réputés pour leurs recherches théologiques et ils peuvent disposer d’une des plus grandes bibliothèques privées d’Europe, riche de 500.000 volumes dont certains très rares. La Bible de Maredsous, une traduction en  langage accessible et en grands caractères d’imprimerie, fait ainsi figure de référence. Sans oublier la digitalisation de cette bible car les moines savent très bien qu’ils sont au XXIe siècle.

 


Quand ils vont le quitter, ils se retrouveront dans le petit cimetière qui jouxte le cloître. Jusqu’il y a peu, les moines rejoignaient la terre directement, lovés dans un linceul en position du fœtus comme pour une nouvelle naissance d’une vie qu’ils  auront appelée de leurs vœux ici-bas.

Entre la bière et le fromage

La création de la bière de Maredsous remonte à 1947, juste après la seconde guerre mondiale. Comme le raconte le Père Abbé dans un petit journal très bien fait que l’on peut trouver sur place: « Les pèlerins étaient nombreux à se rendre en train  à Maredsous. Lorsqu’ils arrivaient à l’abbaye, ils avaient soif. Un moine a alors proposé de créer un petit endroit pour les accueillir. C’est comme cela que la Maredsous 6 (pour son degré d’alcool) a vu le jour ».

 


C’est en 1963 que la licence a été négociée avec la brasserie Duvel-Moortgat sous la stricte supervision des moines. Une blonde (6% d’alcool), une brune (8%) et une triple en 1990 (10%) font partie de la gamme qu’a rejointe une Blanche, la Maredsous extra en 2017. Ces bières d’abbaye bénéficient d’une appellation reconnue.

 


La bière de la micro-brasserie locale devrait sortir à la fin de cette année et son installation permet d’évoquer les principales étapes de sa fabrication.

 


Pour accompagner cette bière, les moines ont développé un délicieux fromage dès 1952 en renouant avec des méthodes ancestrales d’affinage. 45 tonnes sont produites chaque année à l’abbaye même par une fromagerie qui emploie 35 personnes. On peut découvrir son processus dans le Petit Musée attenant.

 


Une bière ou un soft, un morceau de pain, du fromage et un peu de beurre, bien assis sur l’une des chaises des grandes terrasses, levez les yeux au ciel et goûtez le moment. Il est suspendu dans le temps.

"7 à 8.000 chopes disparaissent chaque année"

Il n’y a pas eu d’apparitions à Maredsous. En revanche, les disparitions se comptent par milliers, chaque année. Elles concernent les chopes en céramique estampillées du célèbre logo. « On fait avec, reconnaît, un brin philosophe, Bernard Torlet, le  directeur commercial. On a tout essayé mais je ne voudrais pas que les membres de notre personnel, dont plus de la moitié sont des étudiants à l’année, soient dans la répression et prennent des risques inutiles ».

 


Il ne faut pas confondre lever la chope et l’enlever. Là aussi, tout est une question d’esprit. Mais tout le monde ne semble pas l’avoir compris.

 

Par Philippe Vandenbergh

 

Cet article est issu de la Revue W+B n°160.

Retour au début