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Yoann Frédéric, nouveau directeur des Francofolies de Spa : "On a voulu revenir à nos fondamentaux"

Yoann Frédéric, le nouveau directeur des Francofolies de Spa © Francofolies de Spa
Yoann Frédéric, le nouveau directeur des Francofolies de Spa © Francofolies de Spa

Yoann Frédéric, le nouveau directeur, veut que les Francofolies de Spa restent un festival dans la Ville. Avec une ouverture aux plus jeunes et un rêve pour les plus anciens. Entretien.

Fringant jeune quadra au sourire permanent, Yoann Frédéric, nouveau directeur des Francofolies de Spa depuis un an, nous reçoit dans ses bureaux, situés bien entendu en plein centre de Spa, à deux pas du Casino et du Parc des 7 Heures. Car ici, la Ville et le Festival sont intimement imbriqués.
 

Comment avez-vous vécu cette passation de pouvoir(s) ?

Forcément, vous imaginez bien qu’après deux directeurs-fondateurs comme Charles (Gardier) et Jean (Steffens), même s’ils furent accompagnés de beaucoup d’autres comme Pierre Rapsat, Pierre Collard-Bovy ou Marc Radelet, il y avait quand  même une interrogation sur le renouvellement de cette co-direction avec un seul directeur. J’ai grandi avec ce festival, je suis un gars de la région, je suis né à Verviers, j’ai grandi à Theux et j’habite Spa depuis dix ans, à 500 mètres du site du  Festival. J’ai assisté aux premiers festivals avec mon père quand j’avais une dizaine d’années. Ce festival a forgé mon identité culturelle comme beaucoup de jeunes de la région. Cela a développé mon appétence pour la musique, pour le spectacle live qui amenait chaque année un événement passionnant. Cela a forgé aussi mon identité professionnelle puisque, très rapidement et pendant une dizaine d’années, j’ai travaillé chez Impact Diffusion, la société de Jean Steffens, pour le compte des Francofolies. J’y ai fait mes premières armes et j’ai pris beaucoup de plaisir à être le coordinateur, entre autres, des Solidarités de Namur de 2015 à 2020. Je suis aussi passé par la politique (Ndlr : échevin de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Energie, de l’Emploi, de la Mobilité, de la Sécurité routière et de la Participation citoyenne, des charges qui résument bien l’homme) mais c’était plus un engagement personnel pour ma ville qu’une vocation professionnelle. Dès qu’il y a eu un appel d’offres, je me suis dit que je devais tenter ma chance et que j’étais outillé pour le faire.

Donc il y a bel et bien eu un appel à candidatures ?

Tout à fait. Il a été largement publié. Les candidats devaient remettre un dossier complet avec leur manière de voir le Festival et de procéder. Nous avons été quelques-uns à être sélectionnés pour passer devant un jury composé des fondateurs,  évidemment, mais aussi d’autres personnalités d’horizons différents qui font partie de notre conseil d’administration. Le jury a dû considérer la légitimité de ma candidature par mon parcours professionnel, mon attachement, quasi viscéral, à la  Région et à la Ville et au projet que je mettais sur la table. J’ai démarré le 1er octobre 2022 et j’ai donc connu ma première édition comme directeur en juillet 2023. Mais je ne suis pas seul. Nous formons une vraie équipe.

Un peu plus d’un an après votre nomination, vous êtes un directeur heureux ?

Heureux, oui. Parce qu’il faut se replacer dans le contexte. 2022 a été une année très compliquée après deux années de Covid et donc de pandémie internationale. Deux années épouvantables pour le secteur culturel. Mais aussi pour Spa et toute la région. Annulation en 2020, Covid et inondations en 2021 avec un mini-festival, les « BelgoFolies », montées à la dernière minute dans le double but de participer à l’effort de soutien aux sinistrés et d’aider les artistes belges privés de scènes. L’été 2022 a été celui d’une certaine reprise dans un contexte concurrentiel accru y compris au niveau des habitudes - et les Francos en ont évidemment souffert. L’idée a été de ramener du discours positif autour du Festival. Et clairement, on y est parvenu. On a réussi à passer l’écueil 2022 mais avec un succès public et critique mitigé. On est repartis sur la conviction que les Francos était un festival de ville, de centre urbain. On a voulu revenir à nos fondamentaux. Ce sont des contraintes parfois épouvantables pour les organisateurs et pour les riverains. La Ville de Spa vit pendant 4 jours au rythme du festival dans la ville. Des concerts de haute facture sur un site payant avec des stars internationales qui ont fait le boulot mais aussi  une soixantaine de concerts gratuits partout là où c’est possible qui ont rencontré leur public.

Une vraie remise en question…

On s’est effectivement posé la question de savoir ce qui nous singularisait dans le paysage surchargé des festivals d’été de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Je crois qu’on y a répondu en s’appuyant sur nos atouts. Nous sommes un projet intégré à la ville et son territoire et pas en vase clos dans une prairie en périphérie urbaine. On est d’ailleurs presqu’aussi heureux de voir du public dans nos 60 concerts gratuits que de voir des dizaines de milliers de festivaliers sur le site payant. Economiquement, ce n’est pas évident mais cela fait partie de notre mission. Notamment auprès des jeunes qui font ainsi connaissance avec le festival. Car à Spa, un public chasse l’autre. Vous avez d’abord les familles dès le début d’après-midi, puis un public plus adulte pour la soirée et les jeunes la nuit, dans des after-parties jusqu’à 4h du matin. Et eux sont les adultes et parents de demain. Ce sera notre travail dans les prochaines années. Il faudra évidemment aussi articuler la programmation pour ces nouvelles générations.

Vous êtes directeur, Charles Gardier reste programmateur. Comment cela s’articule-t-il ?

Tout cela se passe très bien entre personnes qui ont la volonté de construire. Charles reste programmateur et j’en suis très heureux. Charles, c’est 30 ans de connaissances du milieu, de compétences artistiques et d’une sensibilité qui est celle du festival. Mais la programmation, c’est d’abord un travail d’équipe. Il y a un comité de programmation que Charles pilote et anime et dont je fais partie au même titre, par exemple, que Marc Radelet ou Pierre Pauly (Ndlr : le programmateur, entre autres, des Francos de la Rochelle) qui vient de nous rejoindre. On débat, on se confronte parfois et, si je garde le « final cut », je ne suis pas quelqu’un de conflictuel et j’accepte de me laisser convaincre. Je veille à notre ligne éditoriale mais je ne suis pas l’oracle de la bonne idée et du bon goût.

Sur quels critères d’évaluation vous basez-vous ?

A l’heure d’aujourd’hui, qui est très numérique, les maquettes sonores et vidéos ne suffisent plus. Le vrai « crashtest », c’est le live, la performance sur scène. La vérité d’un moment. Cela me nourrit depuis toujours. Au-delà des « streams », des courants dominants, des datas(1), des ventes de disques ou d’écoutes et de visibilité sur les réseaux, on essaie de s’attacher de plus en plus à cette notion de performance live qui fait la plus-value d’une expérience de festival. Aussi, quand je vais à un concert, je regarde presque davantage le public que l’artiste : qui forme les premiers rangs, quel genre de personnes s’est déplacé ? Cela permet vraiment d’établir et de consolider notre ligne éditoriale, de mieux réfléchir en termes d’offres et de publics auxquelles elles s’adressent. 
 
(1) Il existe en effet de nombreuses applications – dont certaines belges – qui permettent, par exemple, d’objectiver un artiste sur un territoire.

L’avènement des plateformes de streaming n’oblige-t-elle pas les artistes à faire plus de live ?

J’ai le sentiment en tout cas que les plateformes ont fait exploser l‘offre. Il y a beaucoup moins de barrières entre la gamine qui chante dans sa salle de bain ou le gamin qui gratte sur sa guitare dans sa chambre et un public potentiel. Cela a décloisonné toute une série d’artistes qui n’avaient pas droit au chapitre. Il y aussi beaucoup plus de brassage et de métissage qui font que l’on a aujourd’hui, en Belgique, une scène musicale francophone absolument passionnante. Par contre, il faut être lucide. A un moment, la place au soleil reste plus ou moins la même pour tout le monde. Cela reste compliqué pour pas mal d’artistes, surtout en Fédération Wallonie-Bruxelles, d’avoir une carrière et de simplement durer dans le temps comme ont pu le faire Stromae, Angèle, Damso et quelques autres. Le terreau de base de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est 4,4 millions d’auditeurs potentiels. Il faut donc passer par la France et l’international où la concurrence est encore plus rude. Cela reste un vrai combat !

L’arrivée d’un Pierre Pauly va-t-elle favoriser les synergies ?

Oui, c’est l’idée. Il y avait déjà depuis 2-3 ans des synergies potentielles avec la création de l’association « Les Francofolies autour du monde » (les trois historiques, La Rochelle, Montréal et Spa, en compagnie d’Esch-sur-Alzette, au Grand-Duché de Luxembourg, qui va connaître sa 3e édition, de la Bulgarie, de l’Ile de la Réunion, de la Nouvelle-Calédonie et, on l’espère, du Maroc dont le projet a été retardé par le récent séisme). Pierre collabore aussi avec de nombreux festivals dont le Printemps de Bourges. Il y a plein de boutures autour du concept inventé par le regretté Jean-Louis Foulquier dans les années 80 et qui sont amenés à fleurir. On se voyait de temps en temps, maintenant on se parle régulièrement puisqu’on a trouvé le bon fuseau horaire.

La cohabitation entre un site gratuit et un autre payant ne reste-t-elle pas un peu compliquée ?

Ce n’est pas faux. J’ai parfois l’impression d’organiser un festival ET une fête de la musique (rires). Mais Spa a toujours été comme ça. Avec le festival et à côté ses « bars en folie », ses scènes ouvertes, découvertes-jeunes, etc. Force est de constater, au vu du succès incontestable de la billetterie en 2023 (entre 120 et 130.000 personnes sur les 4 jours), qu’au lieu de se faire concurrence, ces deux offres se renforcent. 

Finalement, est-ce que vous ne faites pas plus de politique maintenant que lorsque vous aviez un mandat ?

(Rires) Je mange, je dors, je rêve Francofolies de Spa… je cauchemarde même parfois ! La politique et les Francos ont effectivement ceci de commun qu’elles portent une grosse responsabilité. Les Francos sont une institution qui a 30 ans et draine des centaines de milliers de spectateurs, techniciens et artistes. Quand on se retrouve à la tête d’un truc pareil, sachant que le défi est immense, forcément, on se sent impliqué. On a une responsabilité de faire de cet événement le meilleur possible dans l’espace Wallonie-Bruxelles.

Cela demande un travail au quotidien ?

Oui. J’avais un mandat d’échevin et j’ai choisi de démissionner pour m’y consacrer pleinement. C’est aujourd’hui mon activité principale. C’est ce qui nous anime, moi et les équipes. On se lève tous les jours pour préparer le plus beau programme possible en termes de chansons francophones. C’est un vrai sacerdoce. 

Où en est-on pour cet été 2024 ?

On y travaille. Avec cette volonté d’apporter une plus-value en matière de spectacle live, de show - j’y suis très attaché - et de s’ouvrir aussi à de nouveaux publics, tout en travaillant à une plus grande cohérence par jour. A l’occasion de nos 30 ans, on va donc retrouver un mélange de nouvelle génération d’artistes francophones et de « chanson de patrimoine », un terme que je préfère à « variété », plus péjoratif, même si je n’ai pas honte de ce mot. Ce mélange sera incarné par des artistes populaires qui ont marqué l’histoire du festival avec son lot de surprises. On sera aussi attentifs à exposer toutes les couleurs des musiques actuelles en faisant de la place, notamment, aux musiques urbaines.

Comment organisez-vous les passages par exemple entre la grande scène et la scène Proximus ?

D’abord, je ne considère pas que la scène Proximus soit une punition. C’est une des plus belles scènes de Belgique où l’on peut aller jusqu’à 8-10.000 personnes si on occupe tous les espaces, contre 14-15.000 pour la scène Pierre Rapsat. A partir de là, on a trois « cases » à 18h, 20h30 et 23h. Avec une obligation dans notre contrat-programme d’exposer à 18h un artiste issu de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la scène principale. Pour les deux autres cases, on cherche vraiment les moyens (30 à 40% en plus) dans la programmation pour avoir plusieurs têtes d’affiche par jour. Et puis, vous avez les enjeux de production et de technique, en forte expansion. Soprano « n’entre » tout simplement pas sur la scène Proximus. C’est vrai aussi que certaines productions exigent la « main stage » et rien d’autre.

Quels sont les arguments qui font qu’une vedette va venir chez vous plutôt qu’ailleurs ?

Il y a deux arguments essentiels. Le premier, tout à fait prosaïque, c’est bien évidemment le cachet. C’est un marché comme un autre où il convient de se positionner. Cela représente entre 30 et 35% du budget et c’est en constante augmentation. Il faut dire que les productions n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a 25 ans en matière de lightshow et de vidéos, notamment, et c’est tant mieux. Les « tours de chant » avec une poursuite et trois praticables pour décor, ça appartient aux années 90… Le deuxième argument pour convaincre un artiste, c’est l’image du festival, la qualité de son accueil, son positionnement et sa cohérence éditoriale avec celle de l’artiste. Après le montant du cachet, la question qui suit toujours c’est : « avec qui je vais jouer ce soir-là ? ». Ce sont des enjeux importants. 

La nouvelle synergie avec les autres Francos peut-elle influencer les négociations ?

Cela fait évidemment partie des leviers qui sont intéressants. Quand on a une logique de groupe, on est plus fort, c’est indéniable. Ceci dit, on ne va pas se passer de travailler avec les agents belges qui connaissent le terrain mieux que personne.

Votre rêve le plus fou pour les Francofolies de Spa ?

Trouver le modèle économique qui nous permette de reprogrammer des concerts en salle, dans la grande Salle des Fêtes ou dans le Petit Théâtre. Ce sont des lieux à capacité réduite mais tout à fait exceptionnels. Il y a aussi une génération de spectateurs fidèles, qui a vieilli avec le festival et qui est en recherche de confort. Ce public éprouve parfois des difficultés avec les contingences d’un festival : faire des kilomètres à pied, rester debout, parfois sous la pluie, faire la file, etc. La Rochelle le fait énormément mais le modèle économique de ces concerts, plus intimes, reste fragile et on n’est pas encore en capacité de prendre ces risques. Ces lieux nous permettraient de pouvoir accueillir des artistes importants du patrimoine francophone toujours actifs, qui s’adressent à un public plus âgé et qu’on n’imagine plus forcément tenir la baraque sur une grande scène extérieure en formule festival. Les Francofolies ont pour vocation de s’adresser à tous les publics !
 
Entretien réalisé par Philippe Vandenbergh dans le cadre de la Revue W+B n°162

Dernière mise à jour
27.02.2024 - 15:00
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