Qui sont les descendants des Wallons de Suède ?
Qui sont-ils ? Que font-ils ? Et surtout, que pensent-ils de leurs aïeux ? Ce passé a-t-il encore un sens aujourd’hui à leurs yeux ? Réponses avec trois femmes et deux hommes, entre Stockholm et le comté d’Uppsala.
Retour au débutSanne Lennström, 34 ans (parti social-démocrate) et Lina Nordquist, 45 ans (parti libéral), parlementaires
Première question pour faire connaissance : qu’est-ce que ça fait d’avoir des ancêtres wallons quand on est Suédois ?
Lina Nordquist : Pour être honnête, je ne pense pas que mes gènes soient si importants. Ce qui compte, c’est de savoir que tous les Suédois bénéficient de cet héritage-là. Je suis convaincue, même si je ne vivais pas à cette époque, que nous ne serions pas devenus leaders mondiaux sans l’expertise des Wallons. Notre force provient de ce passé. Et aujourd’hui, cette histoire est un bon exemple d’immigration réussie, même si les Wallons ne sont pas venus frapper à notre porte. On avait besoin d’eux. Et leur apport dépasse le secteur de la sidérurgie. On n’avait pas de système scolaire et de retraite avant leur arrivée. C’est aussi pour ça qu’ils sont encore très respectés et que les gens sont fiers d’avoir du sang wallon.
Sanne Lennström : C’est mon cas. Ma grand-mère a grandi et vécu dans un bruk où la tradition wallonne était encore vivante et où l’on chantait des chansons d’antan. Pour elle, comme pour les autres, c’était très important de perpétuer le souvenir. Alors je fais pareil avec mes enfants de trois et six ans. Je crois à l’importance de leur transmettre ce savoir sur l’histoire locale, dans les familles et surtout à l’école. Je ne connais personne qui ne soit pas intéressé par ce que les Wallons nous ont apporté. Depuis quelques années, les recherches généalogiques sont d’ailleurs devenues très populaires.
Et pendant ce temps-là en Belgique, cette histoire des Wallons de Suède est méconnue…
Sanne Lennström : C’est triste parce que vous avez des raisons d’être fiers. Nous, nous sommes fiers de vous. C’est un héritage exceptionnel… Et je suis convaincue qu’il y a moyen de le partager. Peut-être via le tourisme. Imaginez des visites dans les bruks. Vous passez là une journée, vous mangez de la glace et en même temps, vous apprenez ce que les Wallons ont construit là quatre siècles plus tôt. Ce serait génial de créer des QR codes qui permettent de marcher dans les pas des Wallons. Ça vous permettrait de renouer avec ces belles origines.
Excusez-moi de vous interrompre mais votre collègue a les larmes aux yeux. Pourquoi cette émotion ?
Lina Nordquist : Parce que je trouve ça vraiment triste et malheureux que quelque chose d’aussi fondamental pour nous soit inconnu de vous ! Je ne peux pas croire que les Wallons d’aujourd’hui n’aient jamais entendu parler de ça. Nous, on l’apprend à l’école et on a des pièces de théâtre à ce sujet. J’espère vraiment que ça va changer.
Vous pensez pouvoir œuvrer en ce sens ?
Sanne Lennström : Avant cela, nous devons travailler sur nos origines, car certains de nos villages wallons sont en mauvais état. Österbruk, par exemple, tire son épingle du jeu grâce aux subsides qu’il a reçus. Ce n’est pas le cas de tous les villages. Il faut donc promouvoir le tourisme. Améliorer ce qui peut l’être. C’est pour ça que nous aimerions amener des personnes du Parlement européen ici. Par leur intérêt pour l’histoire, elles pourraient nous aider à conserver ces lieux.
Le sujet des origines wallonnes vous intéresse-t-il parce que vous travaillez en politique ? Ou parce que vous aimez l’Histoire ?
Sanne Lennström : Les deux. Mais je pense que beaucoup de jeunes Suédois s’y intéressent aussi. C’est juste qu’il faut trouver le moyen de les attirer davantage dans les villages wallons. N’y aller que par le prisme de l’héritage ne suffit pas. Il faut varier les plaisirs, avec des visites thématiques comme « les meurtres mystérieux » ou encore des histoires de fantômes. Les enfants adorent ça ! Il y a la légende de la dame blanche qui hante un jardin dans lequel elle se serait noyée et qui, depuis, sort sa main du lac en tenant un mouchoir blanc. Il y a aussi ce vieux monsieur qui fait grincer son fauteuil à bascule au-dessus du plafond... Je peux vous dire que quand j’étais petite, j’aimais bien faire ce « tour spécial fantômes », même si c’étaient des comédiens à la manœuvre.
Lina Nordquist : Notre objectif aujourd’hui est de convaincre un maximum de parlementaires suédois et européens de créer un réseau wallon. Cela permettrait d’avoir de bonnes idées pour remettre en état certains de nos villages historiques. Quand on discute de manière formelle autour d’une table, on touche moins les autres. Un réseau, c’est plus spontané, plus humain. On ne ressent pas de pression. On participe quand on veut. C’est comme une amicale…
Et que se passera-t-il avec ce réseau wallon si vous n’êtes pas réélues ?
Lina Nordquist : Son avenir dépendra de ceux qui croient en lui et qui ont envie de le faire prospérer.
Sanne Lennström : Pour ça, on a besoin de rallier des personnes qui seront toujours membres du Parlement. Heureusement pour nous, pas mal d’entre eux ont des ancêtres wallons. Et comme vous le savez, l’identité n’est pas juste un sujet. C’est quelque chose qui touche au cœur. Les plus belles histoires sont les histoires vraies.
Retour au débutBengt Lindholm, guide à Österbybruk
Après avoir passé toute ma vie à Stockholm, j’ai voulu trouver un endroit au calme où passer ma retraite. Et avec mon épouse, nous sommes tombés sur une maison à vendre à Österbybruk. C’était celle d’un mineur et je ne sais pas pourquoi quelque chose m’attirait là. Très vite, j’ai fait en sorte de m’intégrer dans la vie du « bruk ». Et par mon intérêt pour les vieux bâtiments et les forges, j’en suis arrivé à devenir guide. J’ai à cœur de montrer le côté positif d’une migration. Dans beaucoup de pays aujourd’hui, l’idée que des gens se déplacent est mal perçue. Alors que ça existe depuis toujours. Et l’exemple des Wallons en Suède montre à quel point cela peut être un enrichissement. Je crois que c’est le sang wallon du côté de mon père qui m’a ramené ici. Qui sait ? Un jour, j’aimerais bien aller en Belgique pour ressentir dans mon corps ces racines lointaines. J’ai étudié le français très tôt, mais je le parle mal. Mon mot préféré dans cette langue ? Une bière s’il vous plaît !
Retour au débutAnders Herou, Président de l’Association des descendants wallons
Avoir des origines wallonnes vous rend très vite intéressant ici. En fait, c’est même plus chic que de dire qu’on est noble. Moi, j’ai grandi avec l’idée que la Suède devait beaucoup à la Wallonie. Les travailleurs étrangers avaient en effet des compétences qui leur permettaient de produire de l’acier de haute qualité. Et puis, ils ont amené leur culture, montré leur sens de la famille… Mon père était tellement passionné par cette histoire qu’il a entamé des recherches généalogiques. Il est remonté jusqu’en 1625… Mon nom Herou vient de Henry. A l’époque, le prêtre qui faisait les registres l’a mal orthographié, car c’était de l’ancien français et il ne comprenait pas mon aïeul qui était forgeron. Aujourd’hui, je suis fier du chemin parcouru. J’ai fait mon premier voyage en Wallonie en 2003 à un moment où je n’étais pas encore actif dans l’association des descendants wallons. En 2009, j’y suis retourné avec quelques membres. Et en 2014, l’engouement était tel qu’on a dû vite trouver d’autres dates. L’association compte 1.100 personnes. Et elle fête ses 85 ans cette année*.
* L’association organise deux voyages de retour aux sources wallonnes en 2024. 150 Suédois sont déjà inscrits.
Retour au débutIngrid Wiken Bonde, membre de l’Association des descendants wallons
C’est ma mère qui m’a parlé la première de mes ancêtres wallons arrivés en Suède au 17e siècle. Ça m’a touchée de savoir que leur popularité était liée à ce qu’ils avaient apporté à l’économie du pays. Alors une fois arrivée à l’université, j’ai voulu faire des recherches sur eux. J’ai découvert que mon aïeul s’appelait Sacha Fasing et qu’il était originaire de Liège. Avec l’association, j’y suis allée il y a cinq ans. Mais ce n’était pas la première fois. Je connaissais déjà la Belgique, surtout la partie flamande parce que, figurez-vous, j’ai enseigné le néerlandais en Suède. C’est drôle la vie. J’ai des origines wallonnes et je passe ma vie à transmettre la langue de l’autre région de la Belgique... On peut dire que je suis pour l’unité du pays. Et en plus, je parle français !
Par Nadia Salmi
Cet article est issu de la Revue W+B n°161.
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