Scarabeo, le désert à portée de main

La promesse est belle… Après quelques trente kilomètres de piste au départ de Marrakech, un autre monde est possible. Et c’est un couple belge qui s’en porte garant. Depuis 2012, Vincent T’sas et son épouse, Florence Mottet, proposent des expériences hors du temps et des sentiers battus aux voyageurs en quête de beauté absolue. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a amené au Maroc ?
Vincent T’sas : Je suis arrivé dans ce pays en 2003, à l’âge de 22 ans. J’étais alors photographe et un peu fatigué car je venais de faire un bouquin pour les ambassades belges. J’avais donc envie de me poser. Et c’était d’autant plus nécessaire que j’avais beaucoup bougé en étant enfant. Mon père travaillait dans l’Union minière, alors je le suivais partout, en Algérie, en Yougoslavie, en Grèce, en Thaïlande... C’est sûrement pour ça que j’ai un goût de l’ailleurs très prononcé.
Et là, Marrakech vous a fait les yeux doux…
Oui, la famille de Florence avait deux riads ici. C’est vite devenu notre point de chute. Et moi qui voulais arrêter la photo, j’ai vite repris. A l’époque, le secteur touristique cherchait des professionnels de l’image pour les brochures. J’ai donc recommencé à travailler la photo. Florence, après ses études de graphisme à La Cambre, m’a rejoint pour qu’on s’installe définitivement ici.
Comment l’aventure Scarabeo Camp débute-t-elle?
À l’origine, avec mon épouse, nous avions une petite maison d’hôtes et une agence de communication graphique. Florence créait des visuels pour des chaînes hôtelières, des logos ou encore des identités de marque qui marchaient bien car à cette époque, à Marrakech, il y avait peu de professionnels comme nous et la demande était forte. Nous travaillions énormément, bien plus qu’en Belgique. Alors pour échapper un peu au quotidien, nous partions régulièrement en 4x4 le week-end, souvent avec ma belle-sœur et son mari. Un jour, en plein sud du pays, nous sommes tombés en panne. Nous avons dû attendre plusieurs jours qu’une pièce de rechange arrive. Alors, nous avons improvisé un petit bivouac autour des voitures, discuté, réfléchi… Et c’est là qu’est née l’idée de Scarabeo Camp : allier l’expérience de la maison d’hôtes à un campement raffiné, inspiré de nos escapades et de cette manière simple mais immersive de vivre le désert.
Combien de temps allez-vous mettre pour matérialiser cette idée ?
Deux ans. Scarabeo est né en 2012. Au départ, on voulait s’installer dans le Sahara mais avec la naissance de notre fille, on a préféré rester près de Marrakech. Les camps sont à 35 kilomètres de la ville. Florence s’occupait de l’image de la marque, du site, des brochures, d’Instagram. Puis, au fur et à mesure, l’équipe s’est agrandie. Aujourd’hui, on emploie à peu près 80 personnes, toutes indispensables vu l’environnement dans lequel on est. Dans le désert, tout est compliqué pour faire à manger, laver les draps… On a donc des corps de métiers très variés : des maçons, des cuisiniers, des couturiers...
Que proposez-vous aux personnes désireuses de se ressourcer dans cet environnement aride?
Les campements sont répartis sur un périmètre de 5 à 6 kilomètres, formant un triangle entre Stone Camp, La Citadelle et Les Roches Noires, où des mariages sont parfois organisés. Chaque site préserve l’esprit du bivouac, tout en offrant des panoramas distincts. Stone Camp s’étend dans un désert de pierres, très minéral. La Citadelle, perchée sur un relief escarpé, présente un dénivelé marqué. On a choisi ce nom en référence à une ancienne kasbah abandonnée sur place, mais aussi en hommage à la région wallonne et à nos souvenirs de passages à Namur.
Quelles sont les demandes faites en général par vos visiteurs ?
Certains souhaitent partir dans un camp mobile, d’autres veulent un massage avec projection de film ou un chef au milieu de nulle part le soir. Les envies sont variées, alors on s’adapte. On peut faire un shooting photos, un cocktail d’anniversaire, de la balade à cheval, de la montgolfière, de la marche avec un guide ou encore du sport mécanique…
Du sport mécanique? Ne craignez-vous de déstabiliser le sol avec le passage répété des véhicules ?
Cela nous dérange, bien sûr, mais nous n’avons malheureusement aucun pouvoir de décision à ce sujet. C’est une volonté des autorités et nous devons nous y conformer. Ce secteur est devenu un business facile, attirant de nombreuses personnes qui s’y lancent sans forcément être encadrés. Le manque de régulation engendre un trafic intense, avec des véhicules qui sillonnent sans cesse les dunes et les étendues désertiques, parfois sans réelle considération pour l’environnement ou le calme du lieu. C’est un véritable problème pour nous, car lorsque l’on pense au désert, on imagine un espace vierge, silencieux, un lieu où la nature règne en maître. Chez Scarabeo, nous voulons préserver cet esprit. Nous faisons tout notre possible pour limiter l’impact de cette activité sur l’expérience de nos visiteurs. Mais notre marge de manœuvre reste limitée, car nous devons respecter le cahier des charges marocain.
On est loin de l’ambiance « Lawrence d’Arabie », avec cette idée romantique du désert et cet esprit d’aventure…
(Rires) Pour ça, on organise des méharées. On peut partir une journée avec un dromadaire et déjeuner dans un village. Je le répète mais le désert du Maroc est riche en rencontres et paysages. On s’imagine souvent qu’il n’y a que du sable mais c’est un cliché qu’on a plaisir à démonter. On aime bien faire partager nos expériences vécues. Le désert d’Agafay est vraiment un endroit insoupçonné. On a une vue magnifique sur les montagnes de l’Atlas. Je me souviens encore de la première fois où je les ai vues. Il y avait un orage qui arrivait, et au dernier moment, il a changé de direction. Le ciel était tout noir d’un côté et tout bleu de l’autre. J’ai pensé alors : « Ce lieu n’est pas croyable ». Il n’y avait jamais personne. Quand j’en parlais aux gens que je connaissais à Marrakech, personne ne connaissait. Ce n’était pas facile d’accès. Il y avait très peu de pistes.
Comment vivez-vous le changement en quelques années ? Si le désert n’est plus si désert, comment fait-on pour le préserver ?
C’est vrai que la région d’Agafay a pris de l’ampleur. Le désert a changé en devenant plus fréquenté. Aujourd’hui, on a un peu perdu cette impression qu’on avait au début : être seul au monde. Il y a maintenant une trentaine de camps autour de nous. Alors on est extrêmement vigilants quant à notre impact et à notre quiétude. Pour respecter l’environnement, nous limitons les constructions permanentes et privilégions les tentes. Nous avons aussi installé des toilettes et mis en place un système de fosse septique avec récupération des eaux, dans une démarche durable. Quant aux terrains sur lesquels nous nous trouvons, ils ont une histoire particulière: autrefois propriétés d’un sultan, ils sont aujourd’hui aux mains du Roi et du Ministère de l’Intérieur. Nous ne sommes pas propriétaires. Nous louons sous forme de concessions de vingt ans.
Vous imaginiez faire votre vie dans un désert ?
Non. La première fois que je suis revenu au Maroc quand j’avais 20 ans, je traînais un peu les pieds parce que j’étais vraiment très bête. Je n’étais pas attiré par les endroits désertiques. Je venais de Thaïlande où la végétation était luxuriante. Et puis, j’ai découvert la variété des reliefs présents ici. C’est vraiment beau. Chaque moment de la journée, tout au long de l’année, est vraiment surprenant. Ça me touche beaucoup. Et j’aime les gens qu’on y rencontre. Ils ont l’air aussi durs que la terre mais, passé la première impression, on se rend compte qu’ils sont exceptionnels. L’hospitalité marocaine n’est pas un mythe. On la rencontre partout.
Comment avez-vous vécu le séisme qui a fait près de 3.000 morts et quelques 6.125 blessés le 8 septembre 2023 dans le Haut-Atlas ? Avez-vous été touchés ?
Non, mais j’ai des employés qui l’ont été. Alors on a voulu aider. Nos couturiers se sont mis à faire des petites tentes qu’on a distribuées dans des villages, à la hauteur de nos moyens bien sûr, parce qu’ils n’étaient que quatre. Grâce à eux, on a réussi à fournir un peu moins d’une centaine de tentes et permis à des familles d’avoir un toit pendant quelques semaines. La solidarité est essentielle.
Pour terminer, diriez-vous que vous avez répondu à l’appel du désert ?
Non, je ne crois pas. J’ai toujours rêvé, mais ce n’est plus possible avec la géopolitique actuelle, de pouvoir vraiment traverser le Sahara. Aujourd’hui, malgré tout, je m’intéresse à d’autres déserts du Maroc. J’aimerais faire une route pour emmener les gens dans des endroits préservés du tourisme et absolument magnifiques. Mais les habitants commencent à partir, car la vie y est difficile et qu’il n’y a plus d’eau. On verra ce qui est envisageable… C’est le désert qui décide.
Cet article a été rédigé par Nadia Salmi pour la Revue W+B n°167.