Pour une diplomatie scientifique francophone au service d’une science ouverte plus équitable
En sa qualité de docteur en sciences de l’information et de la communication à l’ULB, enseignant en médiation scientifique et spécialisé dans l’évaluation de la recherche et la science ouverte, Marc Vanholsbeeck a confié à l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) son avis et ses espoirs pour une diplomatie scientifique francophone au service d’une science ouverte plus équitable.
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Quelles sont les principaux défis à relever par les chercheurs dans la phase de publication scientifique ?
Le défi économique et les frais de publication requis par les grands éditeurs internationaux
Le premier défi concerne à la fois les rôles de lecteurs et de producteurs des chercheurs dans la communication scientifique. En effet, ces derniers sont souvent exposés à des difficultés d’accès et de publication dans les grandes revues scientifiques. L’augmentation de l’abonnement aux grandes revues internationales a accentué ces difficultés pour les chercheurs qui ne travaillent pas dans les universités les plus privilégiées, ces dernières n’ayant pas nécessairement les moyens de payer l’abonnement nécessaire à l’accès ou à la publication d’articles dans ces revues.
Ainsi, la science ouverte pratiquée par les grandes éditeurs internationaux (Taylor francis, Springer, Elsevier…) de revues scientifiques a tendance à accroître les inégalités présentes dans la communication scientifique. Bien qu’elle permette à toute personne disposant d’une connexion internet d’accéder et de lire en toute liberté les publications scientifiques, elle requiert également aux chercheurs de payer des frais de publications très élevés. En effet, les éditeurs publiant la majorité des articles dans les revues scientifiques, cotés en bourse, ont besoin de continuer à réaliser un profit conséquent et demandent désormais aux chercheurs de payer pour que leurs articles soient publiés en accès libre.
C’est donc un renversement du modèle économique où on ne paie plus pour lire mais on paie pour être publié.
Ce défi s’est globalisé ces dernières années où des universités issues aussi bien de Belgique comme des États-Unis ont de plus en plus de difficultés à faire face aux frais d’abonnements et/ou frais de publications demandés par les grands éditeurs. Et ces difficultés rencontrées dans la communication scientifique sont encore plus marquées et impactantes pour les chercheurs issus d’université d’Europe orientale et des pays du Sud.
Les défis posés par le prestige des éditeurs internationaux anglophones et l’évaluation des chercheurs
Les chercheurs non-anglophones rencontrent des défis supplémentaires. En effet, les grandes revues internationales et prestigieuses, non seulement coûtent chères mais sont publiées quasiment exclusivement en anglais. Il est ainsi beaucoup plus difficile de valoriser et diffuser internationalement ses connaissances pour un chercheur ou une chercheuse qui publie dans une autre langue. S’ajoute à cela l’évaluation actuelle des chercheurs qui se focalisent essentiellement sur leur capacité à publier dans des revues prestigieuses. Une telle évaluation tend à survaloriser les grandes revues internationales.
Or, à partir du moment où l’on considère qu’il faut publier dans ces revues là pour être reconnu comme un chercheur de qualité, cela exerce sur eux une pression supplémentaire pour publier dans ces revues. Une pression qui impacte notamment les chercheurs et chercheuses non anglophones qui doivent alors produire des articles dans un anglais quasiment parfait, pouvant leur rajouter des frais de traduction supplémentaires.
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En quoi la diplomatique scientifique est-elle un vecteur prometteur des solutions offertes par la science ouverte ?
D’autres modèles de la science ouverte plus équitables
Depuis 4 ou 5 ans, nous sommes à un carrefour entre deux types de sciences ouvertes. La première est celle proposée par les grands éditeurs internationaux, moins équitable et qui risque de profiter à une élite, généralement présente dans les pays occidentaux, capable de publier dans les grandes revues scientifiques. La deuxième consiste au développement d’autres voies, d’autres modèles économiques de la science ouverte, plus équitables et qui permettent un meilleur échange globalisé des connaissances. Nous pouvons par exemple citer l’open access “vert” permettant de rendre accessibles les travaux scientifiques via des plateformes de publications numériques développées par des consortium de Bibliothèques Universitaires. Il existe également le modèle “diamant” pour parler des revues qui sont publiées avec le support de financements publics et qui ne demandent donc pas aux auteurs de payer pour publier.
L’espoir d’un avenir de la publication scientifique plus équitable réside donc dans l’investissement et le soutien à ces modèles alternatifs de la science ouverte, en particulier pour les continents comme l’Afrique, où les difficultés de publication se font le plus ressentir. Pensons par exemple aux opportunités que pourraient offrir ces modèles pour la visibilité de la recherche africaine et méditerranéenne, qui présente de très grands intérêts scientifiques et pourrait être lue et valorisée à l’international.
De telles possibilités demandent à la fois l’existence d’un cadre politique capable de financer et de développer ces solutions mais également des chercheurs et chercheuses qui sauront voir les opportunités de ces modèles et qui n’auront pas peur d’investir d’autres canaux de publication que les grandes revues prestigieuses.
La diplomatie scientifique comme canal de diffusion d’une science ouverte plus équitable
La science ouverte alternative peut être soutenue par ce qu’on appelle la “diplomatie scientifique au service de la science”. Le but serait ici de rapprocher les décideurs de différents pays afin qu’ils réfléchissent ensemble aux changements des politiques à un échelon international, nécessaire pour garantir un réel impact. Il y a notamment un vrai travail à faire sur les politiques d’évaluation des chercheurs. Il s’agirait par exemple de ne plus se focaliser sur le prestige ou la visibilité de la revue mais sur le contenu publié, sur l’intérêt de la publication pour la communauté scientifique.
Une telle modification est quelque chose qui pourrait être adopté conjointement par un ensemble de pays à l’échelon supranational, et pourquoi pas à l’échelon de la francophonie. On peut s’inspirer ici de ce qui se fait dans l’espace européen de la recherche pour adopter, en Afrique par exemple, des initiatives collectives qui soient plus propice au développement de la science ouverte.
Des pistes pour le rôle de la francophonie et de l’AUF
Au niveau de la francophonie, plusieurs pistes pourraient être envisageables. L’AUF pourrait par exemple s’inspirer de l’initiative d’Helsinki pour le multilinguisme et s’accorder avec des initiatives existantes ou en développer ses propres initiatives pour promouvoir une évaluation scientifique plus ouverte aux travaux publiés en français ou pour soutenir la publication en français via les modèles alternatifs de science ouverte.
D’autres actions envisageables à l’échelle de l’AUF seraient des échanges de bonnes pratiques sur les modèles alternatifs de publications. Les chercheurs et universités de tout continent pourrait alors s’inspirer des initiatives en cours dans les différents pays pour transformer l’évaluation de la recherche et réfléchir ensemble sur la transférabilité d’un territoire à l’autre de ces initiatives.
Enfin, plus concrètement, partant de ces bonnes pratiques, il pourrait être intéressant de réfléchir à des projets conjoints pour réussir l’appropriation des initiatives existantes et notamment pour les pays du sud. Ce peut être des initiatives conjointes pour promouvoir l’accès aux collègues du sud, aux francophones, à des plateformes en open access qui ne demandent pas de frais de publications importants. L’enjeu ici est de promouvoir l’accès d’un grand nombre de chercheurs à un nombre restreint de plateformes performantes et qui ont une bonne visibilité.
Dans ce contexte, la science ouverte pourrait à son tour être au service de la diplomatie. Imaginons la visibilité et l’aura que pourrait acquérir la recherche francophone si les chercheurs francophones avaient davantage accès, notamment les collègues africains, à des plateformes de publication ? Le développement d’une science francophone plus ouverte pourrait ainsi permettre un rayonnement plus important.
Ces défis requièrent un important investissement sur le long terme. Et cela peut être un rôle essentiel de l’AUF d’envisager un volet publication et science ouverte dans la concrétisation du Manifeste de la diplomatie scientifique.
Il y a un vrai lien entre diplomatie scientifique, publication scientifique et science ouverte. C’est un terrain à explorer où des initiatives concrètes pourraient fleurir.
Retrouvez l'interview complète sur le site de l'AUF.
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